Fatigué par son âge déjà avancé, mon oncle essuyait les quelques gouttes de sueurs qui perlaient sur son front quand le carillon de sa plus que renommée boutique en ville répandit sa mélodie métallique. Quiconque cherche un met délicat, exotique ou du terroir, sait que c’est ici qu’il doit se rendre. Foie gras, vin et champagne tout droit importé de France se mélangent aux salamis italiens et aux saumons fumés de Norvège. Tout est savamment disposé sur ses étales pour attirer l’œil du client. Certes, la décoration est rustique, mais le négoce ne désemplit jamais, hormis à l’heure de la fermeture. Mon oncle, par habitude, salua chaleureusement celui qu’il pensait être sa dernière visite. Néanmoins, une fois qu’il aperçut mon minois, son sourire fendit ses traits plus sincèrement : « Jamie. Entre mon enfant » Il déposa sa marchandise sur son comptoir. « Je suis vraiment heureux de te voir, comment vas-tu ? » me dit-il en les bras tendus vers moi et , j’avançai dans sa direction, heureuse et guillerette alors que je suis foncièrement tracassée. 
 
         Hormis son âge, il travaille toujours d’arrache-pied pour tenir le pot de ses finances le plus droit possible et s’il y parvient, c’est au mépris de sa santé. Aussi, je dois l’admettre, mon inquiétude à son égard n’a d’égal que ma reconnaissance et sa générosité. Marshall Keegan, frère ainé de mon père, m’a appris la stabilité, m’a hébergée et m’a envoyée à l’université alors que mes parents, se déchirant de jour en jour, ne pouvaient assumer mes ambitions malgré ce désir pressant de me voir gravir les échelons de la société. Je lui dois tout, à cet homme, absolument tout. Tout ce que je suis, tout ce qui fait qu’aujourd’hui, je peux me regarder dans la glace avec fierté, je peux me montrer forte quand il le faut et offrir aux gens qui me sont chers une amitié sincère et délicate. « Moi aussi, je suis contente de te voir » lui confiais-je en le serrant dans mes bras fins et posant un baiser sur sa joue. « Je suis désolée de ne pas être venue plus tôt, mais, je travaillais sur une affaire importante, j’ai donc été pas mal occupée.» Bien entendu, il ne m’en tenait pas rigueur. Au contraire, il se montra compréhensif et intéressé par la perspective d’entendre mes scoops en avant-première. « Va. Ferme la boutique tu veux ? Nous serons mieux dans la cuisine pour discuter un peu. » Je m’exécutai et, grimpant à sa suite les escaliers menant à son luxueux appartement, je me suis assise sur l’un des sièges de la cuisine.
 
         Noble, installé juste devant moi et nous servant deux tasses de café sucré au lait, le frère de mon père me fixe de son œil curieux. La lueur inquisitrice de ses prunelles caramel me pousse à tout lui raconter avec passion et intérêt. J’aime mon métier. Je lui consacre d’ailleurs l’entièreté de mon temps, hormis peut-être celui destiné à aider Reed. « Et bien, c’est une histoire passionnante » commenta mon oncle au terme de mon histoire. Moi, je hochais vivement de la tête, riant un peu moins quand ce père de substitution amena la conversation sur un sujet moins agréable à aborder. Il a commencé par me demander si j’avais téléphoné à mes parents. Ces parents aimants qui après leur séparation ont rompu presque tout contact. Je les appelais peu et je leur rendais visite de temps à autre, pour le réveillon ou Thankgiving. « Oui ! J’ai essayé d’avoir papa, je suis tombé sur sa nouvelle conquête. Et maman n’a jamais répondu. Je réessayerai demain, je te le promets ». Loin d’être convaincu, le vieil homme me jeta un regard sceptique, mais ne s’attarda pas sur la question. Il savait que c’était inutile etque je leur en voulais beaucoup d’avoir corrompu mes rêves de petite fille.
 
         Enfant, j'aspirais à un amour heureux à vivre pleinement. Un amour où chaque moment à savourer est une fête. Un amour contre lequel l’éternité ne vaut rien. Et quel cadeau m’ont-ils offert pour mes 11 ans ? Une séparation. Un divorce difficile qui en fit la risée du voisinage. Et moi, l’ingénue rêveuse qui craque pour son meilleur ami, j’usai mes yeux dans l’eau salée de mes larmes. J’ai même cherché à me prouver que mes songes n’étaient pas vains, qu’ils n’étaient pas l’illusion d’un bonheur inaccessible. Alors, un soir, tandis que Reed et moi étions seuls dans son jardin, je l’ai embrassé, espérant qu’il partage mes sentiments. Il n’en fut rien. Surpris par mon unique amie, Louise, qui n’était autre que la sœur du jeune adolescent aussi gentil que charmant, nous nous sommes évités pour ne plus jamais la contrarier. À l’époque, je n’ai pas demandé à Louise les raisons de cette réaction coléreuse et, les années suivantes, je n’ai pas osé. Aujourd’hui, elle n’est plus là, elle est partie pour un monde meilleur, laissant derrière elle un frère détruit et moi, feignant la joie de vivre pour aider celui-ci à se relever. Elle s’en est allée emportant avec elle ce secret et tellement d’autres encore.
 
         « Jamie ? Tu es avec moi ma jolie ? Il me semble que je t’ai perdu en route » m’interpella alors mon oncle tandis que je tourne inlassablement ma cuillère dans ma tasse de café. « Oh excuse-moi, j’étais ailleurs. Tu disais ? » Lorsqu’il s’agit de mentir à mes proches, je ne suis pas très performante. Les seuls mensonges fonctionnels ne servent jamais que mes desseins élogieux m’obligeant à emprunter de sombres méthodes. Si je veux une interview pour dénoncer les méfaits d’un homme de grande envergure, je triche, je dupe et je leurre et sans honte. C’est tout ce que j’ai pour venger mon amie, tout ce que j’ai pour aider son frère dans sa quête. « Tu penses à lui, n’est-ce pas ? » insiste mon oncle plus perspicace que moi. Prise au dépourvu, j’ai préféré la vérité à un mensonge peu crédible « Je m’inquiète pour lui. En fait, je m’inquiète pour vous deux. Vous vous bouffez la santé tous les deux. Il a fait une drôle de rencontre tu sais » avouais-je sur le ton de la confidence à mon seul allié. Devant Marshall, je peux pleurer, crier, hurler et me laisser aller. Je peux vivre mes angoisses et mes inquiétudes. Je peux m’épancher sur son épaule sans avoir le sentiment d’être une égoïste, car, je ne dois pas l’aider, lui. Je ne me sens pas responsable de lui. Je n’ai pas la conviction d’être seulement capable de le sauver de lui-même et de cette fille. Je ne me sens pas dévouée à lui au point d’y laisser des plumes. « Tu l’aimes peut-être un peu trop » sous-entend alors mon oncle. Il me coupa le sifflet et, cette fois, je dus réfléchir avant de prendre la parole. « C’est mon ami depuis toujours. Tu le sais n’est-ce pas ? » chuchotais-je doucement, un peu honteuse. Honteuse de m’accrocher désespérément à un homme qui ne voit en moi qu’une amie. Une amie qui l’amuse. Une fille à qui l’on rend visite parce qu’elle est divertissante, pas par besoin. « Et puis, ni lui ni moi ne sommes totalement remis du décès de Louise. »  
 
         Louise était ma raison, ma conscience, mon Jiminy Cricket. Elle était toujours de bon conseil et je me fiais à elle comme si elle était ma propre sœur. Après son décès, je me suis accrochée comme je pouvais à nos souvenirs heureux et, s’il n’est pas un jour où je ne lui parle pas, elle a laissé un creux béant dans mon cœur. Un fossé que Reed ne suffit pas à combler. Il est trop absent, trop loin de moi, trop obnubilé par cette Maxine qui l’a alpagué. Il prétend vouloir l’aider et, même si je n’ose le dire, je sais pourquoi. Je sais que, s’il parvient à l’éloigner de cette famille malsaine, il aura le sentiment de s’être racheté aux yeux de sa conscience. Il s’y prend tellement mal. Il se détruit, oubliant qu’il décevrait probablement sa sœur. Elle était si fière de lui, sa cadette. « C’est normal » commenta mon oncle. « C’est tout à fait normal, mais, tu sais, à force de te montrer plus forte que lui, tu vas finir par le mettre mal à l’aise. Tu devrais peut-être lui dire la vérité, tu sais. » J’ai hoché la tête. Je ne pouvais pas. Avec la meilleure volonté du monde, je suis incapable de lui parler de ce que je ressens, qu’il s’agisse de lui ou de celle qui nous manque tant. Alors, je me tairai. Je me tairai et persisterai à investiguer pour dénoncer ces horribles malfrats qui menèrent celui que j’aime dans l’enfer dans lequel il vit actuellement. Je continuerai à me battre pour le sortir de cette misère, qu’il redevienne ce jeune homme souriant, honnête et simple.  
 

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<span class="taken">Jenna Coleman <b>›</b></span> Jamie S. Keegan